DU culturel
A Macky Sall et Abdoul Mbaye qui
ne savent pas « ce que culture veut dire »
Parler de la culture, c’est rendre compte de l’œuvre et de l’ingéniosité humaines.
L’idée de culture verse vers une
certaine notion de travail : cultiver,
c’est travailler. La culture renvoie à l’œuvre humaine en tant que celle-ci se
veut dépassement et négation
de la naturalité de l’homme. La culture est un processus d’acquisition
de nouvelles dispositions et aptitudes consolidant les conditions d’existence
de l’homme. Cultiver la terre ou cultiver l’esprit, le concept reste le même :
enrichir l’élément sur lequel porte cette opération. Cultiver, c’est mettre en
valeur.
Ainsi, par le travail, l’homme
aspire à transformer sa nature propre et celle qui l’environne. Le travail, aux yeux de Hegel, est négation et dépassement : la nudité naturelle est niée ou dépassée par le
vêtement, le cri ou gémissement naturels par la parole ou langage articulé. La problématique
est de percevoir que l’homme, et l’homme seul, est capable de nier ou de
dépasser la nature parce que disposé à se mettre face à elle : l’animal fait corps avec la nature ou se
prolonge en elle.
La culture figure le travail prenant forme dans le projet d’humaniser le « zoon
logikon » ainsi que la nature. Elle renvoie à cette activité transformatrice du « déjà
là » et productrice d’infrastructures
(ponts, routes, hôpitaux, établissements scolaires, terrains des sports, marchés
pour ne citer que ceux-là. Dès lors, nous pouvons comprendre que l’existence
humaine est ponctuée d’artifices : rien
de ce que fait l’homme, rien de ce qui fait l’homme n’est naturel. La réalité humaine est
foncièrement culturelle. Dire l’homme, c’est déjà parler du culturel. Il est un
animal, et, partant un être de la nature ; mais il est un animal
particulier, car refusant sa condition naturelle ; d’où l’écho qui nous
vient de Georges Bataille : « Je
pose en principe un fait peu contestable : que l’homme est l’animal qui n’accepter
pas le donné naturel, qui le nie. »
La culture est tout ce qui porte
l’empreinte humaine. Elle figure la notion de travail ainsi que tout ce que
celle-ci engage : production de biens, de matériels, d’objet, d’outils
(langage, science, religion, etc.) La culture est aussi le mode d’être d’un
peuple, d’une société : ses aspirations, ses valeurs, ses croyances, ses
idéaux, son passé. C’est la façon bien précise qu’un peuple ou société voit et
entreprend la vie. Jacques Maquet
remarque: « Une culture est
ensemble complexe d’objets matériels, de comportements, d’idées, acquis dans
une mesure variable par chacun des membres d’une société déterminée »
La saisie effective de l’homme,
dans son existence, montre qu’il s’est à jamais décroché de sa nature
originelle. Sous cet angle, la culture s’offre comme cet ensemble
historiquement et géographiquement défini des institutions caractéristiques d’un
type de société bien précis et qui figure « non
seulement les productions artistiques, scientifiques, religieuses et
philosophiques d’une société, mais encore ses techniques propres, ses coutumes
politiques et les mille usages qui caractérisent la vie quotidienne ».
(Margaret Mead)
La nature humaine est, dans le
même temps, soumise à ce « travail du négatif » (Hegel) dont les
couleurs sont fournies par la culture. Dans la dynamique de l’anthropologie anglo-saxonne,
la culture témoigne de cette série de représentations de comportements ou
conduite, de procédés acquis par les groupes humains en tant que société. Rappelons que la « société »
est proprement humaine et qu’il faut la distinguer des « communautés
animales » régies par le seul
déterminisme naturel. Dans la vie de l’homme,
l’acte biologique est toujours
accompagné d’une image socio-culturelle : manger est un acte biologique et
la modalité du manger porte les empreintes d’une socio-culture bien déterminée.
C’est la culture qui a appris à l’homme à habiller, tatouer, orner, maquiller
son corps : toute chose rappelant le dépassement
et la négation du naturel par le
culturel. C’est ainsi que Marcel Mauss parle des « techniques du corps » dont il dit qu’elles sont l’apanage
de l’homme.
La culture s’applique également à l’intellect. La raison est certes
naturelle (comme la langue, organe rendant possible le parler). En revanche, le
raisonnement est culturel : l’homme a appris à raisonner, à penser, à calculer.
Rousseau dira à cet effet que l’être
raisonnant est « un animal dépravé ».
La raison est en latence chez l’homme et a besoin de stimulant pour être opérationnelle.
Les astuces, qui la réveillent, relèvent
de l’éducation. L’homme est
naturellement préparé à parler, mais, c’est la société qui lui apprend une
langue plutôt qu’une autre. C’est l’opérationnalité de la raison qui
permet de retrouver une possibilité de rendre souples, malléables les plussions. Ce
travail rappelle l’invitation kantienne
à éduquer de « bonne hure » les enfants afin de les préparer à
devenir humains. L’homme n’est pas né humain. Il doit le devenir. Il s’agit d’une
humanisation ; d’où l’écho qui nous vient de Kant : « La
discipline transforme l'animalité en humanité. Par son instinct, un animal est déjà tout ce qu'il peut être,
une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui. Mais l'homme doit user
de sa propre raison. Il n'a point d'instinct et doit fixer lui-même le plan de
sa conduite. »
Par
« discipline », Kant entend « éducation » qui, d’une
manière ou d’une autre,intègre l’homme dans le dispositif socio-culturel. Il s’agi
de l’acculturation qui s’entend comme le processus par lequel « l’homme »
accède au stade d’humain via la culture.
Du coup, nous soutenons : le culturel ne se réduit et ne saura se réduire
au folklorique. Le théâtre, la musique, le cinéma, la danse né définissent
pas le culturel. Certes, ils participent des formes d’expression de la culture.
Mais, ils ne tiennent pas lieu de la culture. La culture, en vérité, est
beaucoup plus sérieuse, beaucoup plus profonde,
beaucoup plus belle que ces pittoresques
représentations. La culture est l’âme même des sociétés humaines. C’est ce qui
les fait vivre. Dire la culture, c’es dire l’essence des groupes humain. La culture
est ce sans quoi l’humanité bascule inéluctablement
vers la nature qu’elle a déjà quittée. L’histoire,
les traditions, les religions, les valeurs, le permis, l’interdit, les règles
ou normes sociales, les repères axiologiques, les us, les coutumes, les
aspirations, bref l’existence même : voici le culturel. La culture, c’est
la vie même. Rien de ce que l’homme fait, rien de ce qu’est l’homme ne sort du
culturel.
La culture est le mode d’être d’un
peuple. C’est la modalité par laquelle la société conçoit la vie et établit
ses références. Il y a plusieurs
peuples, plusieurs sociétés. En d’autres termes, chacune des sociétés rencontrées
offre une culture bien précise dont l’arrière-fond reste cet « ensemble articulé de
représentations, de croyances, de valeurs qui constitue la grille de lecture à
travers » (François Chenet) laquelle elle interprète et négocie sa
propre existence. Aucune de ces cultures ou modes d’être des sociétés ne peut
ni doit revendiquer le titre de supériorité : toutes les cultures se valent. Voilà pourquoi le relativisme en
arrive à l’idée d’un pluralisme des paradigmes culturels.
Le mépris culturel, nourri le plus
souvent par l’occident et dû à un complexe de supériorité, montre une certaine
étroitesse, une certaine fermeture de l’esprit occidental sur lui-même. En
effet, dans ses réflexions sur la « nature humaine », Edgar Morin
considère qu’elle est riche dans les principes d’égalité et d’identité. En
revanche, le contenu que l’on reconnait à l’idée d’une « nature
humaine » souffre d’une rupture avec la réalité même ; d’où cette
remarque de Morin : « La
vacuité physique et biologique de son contenu était en fait remplie par les
images socio-culturelles propres à l’occident moderne. Une telle vision
réductrice ne pouvait concevoir la diversité et la différence »
Ainsi, avec le relativisme valorisant
le différencialisme et le dialogue des cultures, dans leur diversité, variété
et richesse, devient une réalité qui interpelle tout le monde. Autrement dit,
le relativisme culturel montre qu’une culture n’en est une, véritablement, que
lorsqu’elle s’identifie à elle par rapport aux modes d’être des autres
sociétés. Une culture perd son essence si, par rejet, mépris ou exclusion, qui,
sous forme idéologique, renvoient à l’ethnocentrisme européo-centrique, s’auto-proclame
la culture de l’Humanité, la référence en terme de culture dans le monde.
L’intelligibilité des cultures, leur portée humaine, les condamne à l’ouverture
et à l’acceptation des autres en tant qu’ils sont différents. Chaque peuple,
nous apprend le relativisme culturel, a sa propre manière d’être et de se
représenter le monde (religions, langues, croyances, valeurs, aspirations,
normes, etc.). C’est, sous cet angle, qu’apparait toute le richesse culturelle
de l’Humanité. Mais, un tel constat poserait problème quant à l’unité même du
genre humain. Comment comprendre, dans le pluralisme socio-culturel, les idées
d’ « homme universel », de « citoyen du monde », de
l’ « unité de l’homme » ? Au-delà du défférentialisme
culturel, est-il possible de retrouver une essence humaine, une constante dans
cette multiplicité de cultures disponibles ? Est-il légitime de chercher,
au-delà des hommes, l’Homme ? Ces questions reprennent la fameuse
question : Existe-il une nature humaine ?
Avec les résultats des enquêtes
ethnologiques et anthropologiques, il est légitime de soutenir : l’homme
est un être de culture. C’est sa nature qui le porte à nier le « déjà-là ».
Il refuse sa naturalité et celle des choses. L’homme est ainsi négation de
l’animalité. Il tend à une valeur sinon à une mise en valeur du naturel par le biais d’une activité,
négatrice, productrice et transformatrice appelée du nom de travail
qui, somme toute, renvoie à la « culture ». Contrairement à l’animal,
l’homme est un être qui cherche toujours à se dépasser pour une meilleure prise
en charge de soi. A interroger toutes les cultures, dans leur diversité, leur
variété et richesse, on retrouve l’idée de refus du simple naturel (Bataille). Elles font toutes la remarque selon
laquelle la nature souffrirait d’un certain manque dont l’artéfact, l’autre nom
pour dire le culturel, serait le palliatif.
Rien
d’extraordinaire, seulement des généralités sur la notion de culture.
Un peu de sérieux quand on parle du
culturel !